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LIVRE XXII.

est pleine de ce même vin dont s’est enivré Lancelot ! »

Le Titan attristé qui portait l’ancien monde sourit, et ses yeux dévorèrent d’avance le breuvage. Après lui avoir tendu sa coupe vermeille, Merlin ôta le monde des épaules d’Atlas et il en chargea les siennes. Mais il n’en fut point oppressé et il ne consentit pas à se tenir courbé. Surtout sa tête resta droite, élevée vers le ciel, si bien qu’il ressemblait à un joyeux vendangeur qui, après avoir rempli sa corbeille, porte sa provision de raisin au pressoir. Encore était-il cent fois plus léger de soucis que les vendangeurs ne le sont pour l’ordinaire.

« Tu le vois, ami, dit-il à Atlas, qui tenait encore la coupe sur ses lèvres longtemps après l’avoir vidée. C’est avec l’esprit que je porte le monde, non avec le corps ; en sorte que mes épaules ne sont point surchargées ; ni les muscles, ni les tendons des bras ne se fatiguent en aucune façon, et la plante des pieds est aussi ménagée. Fais de même à ton tour, et, certes, le fardeau de l’univers te sera plus léger. Mais surtout, débonnaire Titan, empêche de choir les peuples que tu as presque renversés, en les tenant si bas, la face contre terre. Tiens, imite-moi et cesse de gémir.

— J’essayerai, Merlin, » répondit Allas, auquel ce court moment de répit avait rendu ses forces. Car il s’était assis, le corps ramassé, sur une des bornes du chaos qui se trouvait, par hasard, revêtue de mousse en cet endroit ; et, ayant pris quelque nourriture, bien désaltéré par provision, suffisamment repu, bien réconforté