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LIVRE XXII.

« J’écris, se disait-il tout bas, dans les lieux souterrains, non pour le bruit ni même pour la renommée. Autrement, qui, je vous demande, m’eût empêché de le faire à la clarté du soleil avant qu’elle me fût ôtée ? J’écris pour la vérité ; elle me voit dans ce gouffre, elle me juge. Continuons donc, comme si nous avions pour nous les applaudissements des mondes. »

Sur cela, Merlin, infatigable, se remettait, en souriant, à l’ouvrage ; et croyez qu’il oubliait parfaitement qu’il était enterré.

Cet ouvrage terminé, il en entreprit deux autres qui devaient chasser à jamais la mélancolie de son tombeau. Ce jour-là l’enchanteur était parfaitement en joie. Tout lui avait réussi à souhait. Il voulut appeler ces deux livres : Gargantua et Pantagruel.

— Pourquoi ces noms ? demanda Viviane.

— En souvenir de deux bons compagnons que j’ai laissés sur la terre. »

Au reste, ces personnages s’étaient prodigieusement agrandis, comme il arrivait naturellement de toutes les ombres qui passaient dans son sépulcre. Leurs rires retentissaient comme ceux d’un cyclope dans une caverne, ou comme les hennissements d’un centaure enivré de raisins sauvages ; et il est de fait que, pendant la composition de cet ouvrage, le centaure, gardien de ses troupeaux, vint plusieurs fois lui demander : « Seigneur Merlin, que faites-vous là ? » Et Merlin répondait : « Un livre pour réjouir le cœur des hommes. » Sur quoi le centaure reprenait, avec un hennissement plaintif :