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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Dites donc aussi quelque chose pour les centaures et pour les pauvres monstres qui se rongent de mélancolie au fond des solitudes. » Et Merlin : « Sois tranquille ! je n’oublierai personne ; apporte-moi seulement une grappe de ce raisin mûr qui rougit là-bas sur le cep. »

Et je vous prie de croire que dans cette œuvre lapidaire, où toute la création se prenait d’un fou rire, il n’y avait alors aucune de ces ordures monacales qui ont été plus tard ajoutées, par la main des vivants, au Gargantua et au Pantagruel. C’était alors l’ivresse d’un sage épuré par le sépulcre. D’ailleurs, l’eût-il voulu, Viviane se serait opposée à ce qu’il allât mendiant, gueusant les applaudissements des hommes, en flattant leurs impuretés et leurs ignominies. « Imite, disait-elle, je le veux bien, l’ingénuité du cyclope, mais ne t’avilis pas jusqu’au moine goulu. »

Puis leur rire naïf allait résonner jusqu’au centre du globe. L’enfer même entendit plusieurs fois ce rire sans savoir d’où il partait.

Un autre jour il arriva qu’une fourmi pénétra dans le tombeau. Ces bêtes sont curieuses. Elle fut suivie d’une abeille au beau corsage d’or ; et l’enchanteur les entendit très-distinctement qui conversaient entre elles : « N’est-ce pas une grande injustice que le sage Merlin ne s’occupe que des hommes ? N’y a-t-il donc de sagesse que chez eux ? »

Tels étaient leurs discours acérés. Ces simples paroles firent beaucoup réfléchir Merlin. Tout lui profitait ; il sentit l’aiguillon. Les plus petits insectes, aux yeux