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LIVRE XXII.

de rubis, l’instruisaient sur son art. « Certes, elles ont raison, s’avoua-t-il tout bas, il est grand temps de réparer tant d’injustice. »

Cette simple circonstance, qu’un autre n’eût pas même aperçue, fut cause qu’il composa et écrivit sur-le-champ un premier livre de fables. Jamais, il faut le reconnaître, ses vers n’avaient été plus souples ni plus naturels, sans compter qu’il ne reculait devant aucun enjambement. Quelquefois ils étaient grands comme s’ils enfermaient le monde, et soudain ils marchaient comme sur des pieds de fourmis et de faucheux, ou ils s’élançaient exhaussés et juchés comme sur les ailes membraneuses des cigales. Tantôt c’était un souffle printanier, comme l’haleine des grandes forêts dans le mois de mai, tantôt une note brève, impétueuse comme d’une mésange chevrotante au bord du nid. En un mot, Merlin venait d’inventer un mélange heureux de grands et de petits vers qui chassaient la monotonie, imitaient à merveille la confusion harmonieuse de tous les êtres : dialogue éternel de l’éléphant et du ciron, de l’étoile et de la perle.

« Qu’entends-je ? s’écria Viviane qui arrivait justement sur le bout du pied. C’est pour moi, le plus amoureux des sages, que sont faits ces vers ? Redis-les, ami. Murmure-les encore. Avoue que tu pensais à moi en les gravant autour de cette colonnette ; » et elle baisa Merlin sur ses lèvres.

Il faut avouer que Merlin, en vrai poëte qu’il était, n’avait songé qu’à son sujet. Il était tout pénétré de la