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LIVRE XXIII.

— C’est la vérité, cher père. Continuez. »

Le chef des ténèbres reprit, en baissant la voix :

« Est-il sûr que personne ne nous écoute ici ? La mort est curieuse. Où est-elle ?

— Loin d’ici.

— J’avais peur qu’elle ne nous écoutât. C’est qu’aucun être, ni grand, ni petit, ni céleste, ni infernal, ne peut se vanter d’avoir surpris mon secret sur mes lèvres. Pas un ne se doute seulement de ce que je vais te dire. Tous me croient triomphant ; tous jureraient que je suis endurci comme la pierre du rocher, et ; certes, je n’ai rien fait pour les dissuader. Avant tout, sauvons l’honneur. Mais toi, mon fils, sache que le rocher a été usé par la goutte d’eau qui tombe éternellement de la voûte des cieux ; sache que sous ce masque tanné il y a (comment dirai-je ?) une âme, oui, ma foi ! une âme pitoyable qui crie et se lamente. Enfin, pour tout dire, je m’ennuie, ô mon fils. Je ne sens plus en moi ces mâles résolutions, ces volontés rigides qui me composaient autrefois une espèce de bonheur infernal. Quelque chose a fléchi en moi. Je doute, je chancelle, ô mon fils ! Un peu plus, et je succombe.

— J’ai toujours pensé que cela finirait ainsi.

— Dans l’enfer même, mon enfant, j’ai plus d’un dégoût à dévorer. Sous cette royauté qui semble si absolue, il y a des misères que moi seul je connais.

— Quelles ? interrompit Merlin avec timidité. Je croyais qu’au moins dans l’abîme tout allait à votre gré.

— Point, point. Détrompe-toi, mon fils. Si tu dois