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MERLIN L’ENCHANTEUR.

pourriez vous faire un ermitage, et l’univers n’en saurait rien.

— Bah ! tu te trompes, ô le plus sage des enchanteurs. Je suis une machine trop importante dans l’arrangement des choses pour pouvoir disparaître, sans que les mondes le sachent et se le redisent les uns aux autres. Connais donc un peu mieux, beau songeur, ces mondes que tu prétends enchanter. Ils me maudissent à cause de mes forfaits, disent-ils. Dans le fond, chacun de ces forfaits leur impose. Ils y voient une preuve d’habileté. Si je m’amendais, ces mêmes hommes qui me lapident aujourd’hui de leurs malédictions m’accuseraient de faiblesse. Que je persiste, ils m’exècrent ; que je change, ils me méprisent. Voilà, mon cher, la difficulté. Déposer la couronne de feu, dis-tu ? Je le veux bien. Cela est aisé : mais ce sont les suites qu’il faut envisager. Raisonnons ! Si je rentre, simple homoncule, dans la foule des êtres, songes-tu bien qu’il n’en est pas un seul qui ne vienne me reprocher ou sa chute ou son crime ? Oui, il n’y aura pas un homme, un reptile qui, me voyant désarmé, ne m’assassine de ses bravades. Ils sont si lâches ! Certes, j’ai assez de fierté pour mépriser leurs injures. Peut-être, il serait digne de mon caractère de me présenter désarmé à leurs criailleries. Il ne serait pas sans grandeur de leur dire : « Voici le roi de l’enfer. Lui-même s’est dépouillé de sa couronne par ennui. Venez à votre dam ! accourez, race de pervers ; il était las de votre obséquiosité ! Tant de servitude le lassait. Il veut essayer de vos fureurs. En-