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LIVRE XXIII.

puis être tranquille. Pauvres pygmées, je connais leur mesure. Aucun d’eux ne garderait plus d’une heure cet empire du mal que j’ai contenu, conservé, agrandi jusqu’à ce jour. Moi seul, j’ai pu les gouverner. Que je disparaisse un seul moment ! Je leur lègue un beau chaos, le chaos de l’enfer… Défier la création, lorsque le plus petit, le moindre des insectes, pourra se lever contre moi, sans péril, cela irait à ma fierté ! Je m’assiérais sur ce même rocher. Je convoquerais autour de moi tous les êtres, prêt à rendre mes comptes à chacun d’eux… Sylla, Dioclétien, voilà des exemples dont je puis m’autoriser… Moi aussi, je cultiverais en paix mon jardin de Salone ; je vivrais ici de mes laitues… N’ai-je pas comme eux, plus qu’eux cent fois épuisé la coupe ? Me reste-t-il une illusion ? Ne sais-je pas que les ténèbres ont des bornes et qu’on se lasse de tout, même de l’enfer ?… Il est sûr que je ne sens plus en moi cette confiance qui m’a soutenu dans ma jeunesse. Attendrai-je que je sois vaincu ? ou ôterais-je à la défaite l’occasion me frapper ? Lequel est le plus habile ? »

Comme il se parlait ainsi à toi-même, son pied détacha un bloc de rocher qui roula dans le gouffre. L’abîme répondit par un rugissement. En même temps, Merlin parut à ses côtés.

« Prenez garde de tomber, mon père. Cet endroit est des plus ruineux. Allons plutôt nous asseoir sous ce bouquet d’arbres.

— Écoute. Tu es un grand enchanteur, répondit