Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/374

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
370
MERLIN L’ENCHANTEUR.

La conclusion fut que Satan irait faire sa retraite loin des médisants, dans l’abbaye qu’il s’obstinait à appeler un Panthéon. Pendant ce temps-là, les mondes perdraient sa trace. Il pourrait réaliser enfin le projet de solitude qui lui devenait chaque jour plus cher.

Satan partit ; il alla sonner à la porte du monastère, où conduisaient les chemins les plus opposés. On le reçut sans cérémonie, sans étonnement, comme on avait coutume de faire pour tous les pèlerins. D’ailleurs, nul empressement sordide. On ne lui demanda pas même quel était son dieu. Il fut conduit, dans une cellule qui se trouva d’avance toute préparée pour lui.

« Vous êtes sans doute le pèlerin que Merlin m’annonçait depuis longtemps ? dit le prêtre Jean.

— Lui-même.

— Il suffit, mon frère ; entrez. »

Sans rien ajouter, le prêtre Jean salua, se retira. Resté seul, le père de Merlin ouvrit la fenêtre. À mi-côte de la montagne, une cascade faisait un bond de chamois pour atteindre le bord opposé. Son fracas, amorti dans l’étroit entonnoir, se perdait en un bruit sourd, étouffé, au pied des rochers étagés en tours, en ruines, en pics noirs, tendus d’un réseau de neige que l’été n’avait pu fondre encore.

« Quelle fraîcheur dans ces lieux ! dit le pèlerin de l’enfer humant à pleins poumons l’haleine humide, balsamique, de la vallée. Quelle tolérance surtout ! Merlin ne m’avait point trompé. »

Le lendemain et les jours suivants, il fut étonné de