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LIVRE XXIII.

vivre à son gré, dans l’abbaye, sans que personne s’informât jamais de ce qu’il pensait, encore moins de ce qu’il croyait. C’est la dispute surtout qui l’avait exaspéré. Ses anciennes discussions avec les anges et les séraphins l’avaient irrité au point qu’il s’était jeté dans les opinions opposées les plus extrêmes. À mesure que le ciel avait tonné, il avait rugi dans son enfer. Et cette dispute éternelle avait eu pour résultat de l’aigrir jusqu’à le dénaturer. Livré à lui-même, loin du monde, quand il se vit inconnu dans cette solitude où personne ne le contrariait, il ne put s’empêcher de réfléchir ; et comme il avait l’esprit puissant, cette première réflexion eut une influence immense sur les projets qu’il formait. Chaque jour il sentait sa haine décroître, à mesure que l’occasion de l’exercer lui manquait davantage.

Certes, il ne devenait pas un idéal de vertu, d’abnégation, de sainteté. J’aurais tort de le dire. Mais son humeur s’apprivoisait insensiblement : voilà ce que l’on ne peut nier. « Dans tous les cas, pensait-il, on me fait ici une part. On s’occupe peu de mon existence, il est vrai. Mais, du moins, on ne me la conteste pas. Ai-je jamais demandé autre chose ? »

Quelquefois, il faut l’avouer, à la tombée du jour, surtout pendant la nuit, le goût des ténèbres lui revenait avec une violence inexprimable. Il se roulait, en furieux, sur sa couche. Cette solitude qu’il avait tant désirée lui pesait maintenant. Il aurait voulu de nouveau remplir l’univers. Il avait peur d’en être oublié, et déjà il accusait le monde d’ingratitude. Alors il appelait