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MERLIN L’ENCHANTEUR.

les ténèbres. Aussitôt elles se pressaient autour de lui, et l’on entendait entre elles et lui des conversations qui réveillaient en sursaut les frères de l’abbaye.

« Qu’avez-vous, frère, disaient-ils en se pressant à la porte ? N’avez-vous point fait un mauvais rêve ? Nous veillerons auprès de vous, si vous le demandez.

— C’est à moi de veiller, » disait le prêtre Jean.

Il s’asseyait alors, en silence, au chevet du pèlerin, et il attendait avec lui que l’aurore parût.

Dès que le son des cloches se faisait entendre, un frisson saisissait le nouveau frère. Il était près de céder au désir de se replonger dans l’enfer : « Je n’aurais qu’à le vouloir ! Je me retrouverais sur le trône des ténèbres. Je régnerais encore… Mais sur qui ? »

Cette dernière pensée le calmait. L’assurance de ressaisir le monde, quand il voudrait, lui en ôtait le désir.

Certes, c’était aussi une chose terrible pour lui d’entendre, chaque matin, les prières des moines. Tout son être en frémissait ; mais, à mesure qu’à leurs Antiennes se mêlaient les versets du Coran, du Zend-Avesta, des Védas, il respirait plus à son aise. Les Mahométans le consolaient des Chrétiens, les Parsis des Mahométans, les Brahmes des Parsis. Un culte le reposait des autres. Dans le fond, sa vieille haine personnelle contre Jéhovah était satisfaite. Il jouissait délicieusement de lui voir tant de rivaux. « Pourvu qu’il ne règne pas seul, sans partage et sans trouble, je suis content, » murmurait-il.