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LIVRE XXIII.

Ce sentiment n’était pas le meilleur. Celait la lassitude du mal plutôt que l’amour du bien.

On le vit plus d’une fois pêcher à l’épervier, ou à la nasse, ou à la ligne, dans le torrent avec les autres frères, tant la paix lui devenait de jour en jour plus douce. Il cultivait aussi un petit jardin enclos d’épines, qu’il remplit de laitues. Le plus souvent, son capuchon était rabattu sur son visage. Il parlait peu, avec discrétion, seulement lorsqu’on l’interrogeait, ce qui n’arrivait presque jamais. Un jour, il eut la fantaisie de faire célébrer ses funérailles. Il se coucha dans une bière. Les habitants de l’abbaye défilèrent en procession autour de lui, en chantant l’office des morts ; après quoi, il se leva sur son séant, et dit :

« Heureux qui peut mourir ! »

Un autre jour, dans le cloître, allant à ténèbres, il se promenait avec le prêtre Jean :

« Excusez-moi, mon père, lui dit-il. N’êtes-vous pas le grand Pan ? c’est étrange comme-vous lui ressemblez.

— Quelle folie, mon frère ! Vous pensez trop. Prenez garde, vous avez la fièvre.

— Montrez-moi vos pieds sous la bure, que je les baise.

— Non, mon frère ! c’est trop d’humilité. »