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LIVRE XXIII.

Merlin tomba prosterné contre terre, il tint ses yeux voilés, et s’écria :

« Épargne-moi, Seigneur. Ne foule pas le vermisseau. Je t’ai cherché chez les vivants, mais parmi trop d’autres pensées ; et je ne t’ai aperçu que de loin, vers le soir, à la dérobée, quand ton manteau traînait dans la nue. Souvent ta voix m’a appelé. « Reviens, reviens ! » disait l’écho. Mais je fermais mes oreilles, craignant que tu ne me tendisses une embûche. Et l’hypocrite qui avait toujours ton nom à la bouche me faisait fuir loin de toi. Enfin, je te découvre seul dans le fond du sépulcre. Il n’est pas trop tard, Seigneur. »

Dieu répondit :

« C’est maintenant dans le sépulcre que je me plais, il n’en est pas un seul où je n’habite. L’univers est profané ; je m’en suis retiré. Je n’habite plus au dehors dans des cieux chancelants, ni sur les lèvres des hommes. J’ai renoncé aux tentes déployées à l’entrée du désert, et aux pavillons dressés sur les nuages. Mais, partout où il y a une chose secrète, j’habite dans ce qu’elle a de plus secret ; s’il y en avait une plus retirée que la mort, c’est là que je voudrais demeurer. »

Ainsi Merlin apprit qu’il était devenu l’hôte de l’Éternel ; et il s’entretenait avec lui, sans craindre le bruit des foudres assoupis. Une familiarité sacrée avait banni la terreur. Ce n’était plus la voix formidable des Élohim. C’était, auprès des sources souterraines, le murmure du Dieu caché qui laissait échapper son secret dans l’oreille du plus sage.