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LIVRE XXIV.

mer les yeux que je n’aie eu cette joie. « Fais, lui disais-je, mort implacable, mort sacrée, fais que je le revoie un jour, une heure seulement, à cette place, au bas de cette tour ; et je ne te dispute plus cette portion qui me reste de moi-même. » Voilà, sire, comment je lui parlais. Elle a été complaisante, et je la remercie. Ma seule peine, aujourd’hui, est de ne pouvoir faire en vos mains hommage-lige de mon sépulcre. Que ne puis-je, sire, moi troisième, vous héberger ici, au moins un jour, dans ma salle d’honneur, vous et vos preux, et vos amis, et madame Genièvre, et Tristan votre neveu, et tous vos gens et leurs chevaux, dont j’entends d’ici les fiers hennissements ! le souvenir en serait éternel. Excusez-moi, beau roi des justes. Ce n’est pas méchant vouloir, ni avarice de cœur. »

Et le bon Merlin pleura.

« Console-toi, ami, lui répondit Arthus. Je sais que tu ne possèdes rien dans ce lieu ténébreux qui ne soit à ton roi. Mais tu peux encore me servir, d’un cœur loyal, dans la tombe où tu gis pour en sortir, un jour, à ton honneur. Explique-moi mes songes.

— C’est à vous d’interroger, répliqua l’enseveli.

— Écoute. Dans cette nuit sans soir ni matinée, ai-je donc tout rêvé ?

— Il y a eu aussi quelque chose de réel, sire. Toutes les fois que Votre Majesté s’est remuée sur le côté, le monde s’est renversé de fond en comble.

— Cela m’est-il arrivé souvent ?

— Assez.