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LIVRE XXIV.

— Gens au cœur dur, vous me croyez maintenant. Veillez-vous ou dormez-vous ?

— Certes, nous veillons. Mais, au nom du ciel, ne nous rendormez plus du long sommeil. Les rêves sont trop pesants. »

Ici, Jacques, après avoir longtemps hésité, osa interrompre les courtisans ; car une sourde envie le rongeait, et il ne put se contenir davantage.

« Je vois bien céans, dit-il, les barons et les preux et les gens de cour. Mais où sont mes compagnons de charrue que j’ai laissés dormant dans les étables ? Où est le peuple assoupi des vilains ? Pourquoi les a-t-on oubliés ? Moi, j’irai les réveiller et leur chanter des aubades ; ou bien le doux réveil n’est-il fait que pour les barons ? »

Alors Arthus, voyant que la jalousie le faisait parler, sourit du sourire de la justice et répondit :

« Paix, ami ! Regarde avec moi de ce côté et guéris-toi d’être envieux. Connais-tu ceux qui me suivent ? »

Jacques regarda derrière lui. Il vit le grand peuple des vilains, qui sortaient grouillant de la glèbe, tous éveillés comme le roi, ébahis, les yeux écarquillés. Ils semblaient n’avoir jamais dormi du dormir d’airain. À cette vue, il se repentit d’avoir montré tant d’envie et jura qu’il s’en corrigerait.

La terre aussi sortit de sa torpeur ; les fleurs auraient eu honte de paraître assoupies, les papillons quittaient leurs linceuls, les serpents changeaient de peau.

Ce qui fit que la renommée de Merlin fut alors au comble. Il retrouva en un moment toute la faveur qu’il