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MERLIN L’ENCHANTEUR.

supplie de ne plus l’employer désormais. Il est incapable de rien de sérieux ; il mêle à tout une frivolité qui me blesse à cause de vous.

J’ai tremblé à la lecture de vos lettres. Cette nuit d’hiver dans les Alpes !… Ne craignez-vous pas enfin de jouer avec la destinée ?

La lutte n’est pas égale entre nous, Viviane. Ce que tu souffres, tu l’as voulu aveuglément, impitoyablement. Ta volonté, ton orgueil sont satisfaits. Mais moi ! je voulais être heureux, je l’étais. C’est malgré moi que tout s’est accompli. Tu m’as arraché mon bonheur tout vivant. J’ai crié comme un enfant, et tu as été sourde. Aujourd’hui tu me rappelles ; qui me dit que ce n’est pas là un caprice nouveau ? Veux-tu me rendre la vie pour me l’ôter encore ? Sache que je n’ai plus la force de souffrir. Je hais, j’abhorre la douleur ; et toi tu la cherches, tu t’y complais, au moins dans celui que tu prétends aimer.

Que me parles-tu des glaciers des Alpes ? Ils sont moins froids que ne l’a été ton dernier regard. Va ! tu ne m’as jamais aimé un seul instant ; qui sait même si tu es capable d’aimer autre chose que toi ? Mon amour était trop brûlant pour ton cœur pétri de la neige des monts. Ne te souviens-tu pas que tu prétendais qu’il te consumait comme le soleil consume les neiges nouvelles ? Et moi, insensé, quand tu prononçais ces paroles, j’avais la folie d’en sourire. Je crois même que je les trouvais adorables, quand c’était l’expression nue de l’incapacité où tu es de sentir davantage.