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LIVRE XIII.

Que veux-tu ? on ne change pas son être à sa fantaisie. J’ai eu tort d’attendre de toi ce que tu ne peux ni donner ni partager. Je comprends trop tard aujourd’hui pourquoi tu me suppliais toujours de t’aimer comme les fleurs s’entr’aiment ; car, disais-tu, le souffle de mon cœur te dévorait comme le vent du désert. Et, stupide que j’étais, je voyais là une raison de m’enflammer davantage. J’adorais sur tes lèvres le souffle immaculé des roses matinales, sans voir que ton âme paresseuse ne demande qu’à végéter. Oh ! quels combats dont tu n’as pas même l’idée ! j’appelais retenue, sainteté, virginité ce qui n’était, chez toi, qu’impossibilité d’aimer.

Allez, Viviane ! vous pouvez beaucoup de choses ; vous pouvez, je crois, écrire dans les nues ; vous pouvez apprivoiser les aigles, changer en gémissement le ricanement de la mer de Bretagne ; mais vous ne saurez jamais ce qu’il y avait dans un seul battement de ce cœur de Merlin, que vous avez écrasé sous vos pieds.

Après tout, vous aviez certainement raison de me vanter les sentiments des fleurs et de me les donner pour modèles. Je les crois beaucoup mieux faites que moi pour répondre à l’idée singulière que vous avez prise de la félicité. Elles ont, dit-on, une douceur incorruptible, mêlée d’un peu de banalité qui ne semble pas vous déplaire. Leurs désirs sont sages, tempérés de rosée. Je vous assure que leurs baisers ne brûleront pas vos lèvres. Soyez donc heureuse, Viviane, comme je le désire sincèrement. Éprenez-vous de quelque beau lis