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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Ce matin, répondit Alifantina, nous ne nous connaissions pas même de vue.

— Il y a, seigneur, répliqua Merlin, des exemples de cette impétuosité de deux cœurs qui se précipitent l’un vers l’autre. La foudre est moins rapide : un clin d’œil renferme mille vies.

— Parlons raison, Merlin. J’ai déjà trois cents femmes. La convenance de fortune m’a seul conduit à en prendre une nouvelle.

— Il est vrai, ajouta Euphrosine. La convenance parlait ; elle est notre reine, la vôtre aussi, sans doute. Adieu, Merlin, gardez vos songes ; le temps en est passé pour nous. »

Après ces mots distraits, le cortége commença à s’ébranler. Il était précédé d’une troupe de jeunes filles qui faisaient résonner en guise de musique, des sacs de vieille monnaie rouillée, à l’oreille des épousés.

« Bon Dieu ! s’écria Merlin ! Quelle sordide harmonie ! Où allez-vous ? Est-ce ainsi que vous vous mariez ici entre vous, sans trouble, sans joie, sans passion, sans préférence ni amour ? Arrêtez ! que peut-il sortir de cette double avarice ? Quelle génération impure je vois naître de ces impures épousailles ! Vous perdez d’avance l’avenir du grand peuple des ruines. Ô profanation du lit nuptial ! la chair se révolte aussi bien que l’esprit. De ma vie, je ne soupçonnai que cela fût possible.

— C’est pourtant, interrompit Épistrophius qui l’avait entendu, l’usage immémorial établi chez tous les esprits des ruines que vous avez pu visiter.