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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Deux fois la vague, en se retirant par le soupirail, laisse glisser le jour ; deux fois elle l’engloutit presque aussitôt. Si nos deux naufragés doivent survivre, il faut qu’ils choisissent un de ces courts instants où le dos de l’Océan se creuse en vallée. Sinon, comment éviteront-ils d’être brisés tous deux contre la voûte dentelée du rocher ?… Mais déjà Merlin a saisi la jeune fille par la corde qui lui sert de ceinture. Profitant du remous des flots, tantôt s’aidant d’un bras, tantôt frappant des pieds, avalant, rejetant l’eau salée, il lui a fait revoir la lumière du jour. Sous la voûte du ciel, il l’a déposée sur la plage unie, près d’une tortue qui regagnait son gîte, parmi des ajoncs et des asphodèles.

« Saint Georges ! s’écrie Marina.

— Reconnaissez-moi, dit Merlin.

— Heureuses les filles des ruines ! Pour nous, il en coûte trop de vivre.

— Dût cette terre être ébranlée jusqu’en ses fondements, les choses changeront. Mais qui a fait le crime ?

— L’Émir ! »

À ces mots parut sur la grève un homme en turban de mousseline, l’œil vif, les joues pâles, qui vomissait d’affreuses imprécations. Tout ce que l’on pouvait démêler, c’est qu’il se plaignait avec fureur qu’on eût ouvert le sac qu’il avait cousu de ses propres mains et confié à la discrétion de l’Océan. Il s’apprêtait à le reprendre.

« Quel droit avez-vous sur cette femme ? demanda Merlin.