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attentivement la Juive. Si Abd-es-Sélèm était poète et il se réjouissait du hasard étrange qui mettait en contact avec son existence, celle de cette Juive qui, selon son calcul, devait être tourmentée et singulière, et finir tragiquement.

— Écoute, dit-il, et n’accuse que toi-même de ta curiosité. Tu as causé l’infortune de celui que tu aimes. Il l’ignore, mais, d’instinct, peut-être, il a fui. Mais il reviendra et il saura… Ô Rahil, Rahil ! En voilà-t-il assez, ou faut-il tout te dire ?

Tremblante, livide, la Juive fit un signe de tête affirmatif.

— Tu auras encore avec celui qui doit venir une heure de joie et d’espérance. Puis, tu périras dans le sang.

Ces paroles tombèrent dans le grand silence de la nuit, sans écho.

La Juive cacha son visage dans les coussins, anéantie.

— C’est donc vrai ! Tout à l’heure, au Mogh’reb, j’ai interrogé la vieille Tyrsa, la gitane de la Porte du Jeudi… et je ne l’ai pas crue… Je l’ai insultée… Et toi, toi, tu me répètes plus horriblement encore sa sentence… Mourir ? Pourquoi ? Je suis jeune… Je veux vivre.

— Voilà… C’est ta faute ! Tu étais le papillon éphémère dont les ailes reluisent des cou-