Page:Eberhardt - Pages d’Islam, 1920.djvu/57

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leurs les plus brillantes et qui voltige sur les fleurs, ignorant de son heure… Tu as voulu savoir et te voilà devenue semblable au héron mélancolique qui rêve dans les marécages enfiévrés…

La Juive, affalée sur le tapis, sanglotait.

Si Abd-es-Sélèm la regardait et réfléchissait avec la curiosité profonde de son esprit scrutateur, affiné dans la solitude. Il n’y avait pas de pitié dans son regard. Pourquoi plaindre cette Rahil ? Tout ce qui allait lui arriver n’était-il pas écrit, inéluctable ? Et ne prouvait-elle pas la vulgarité et l’ignorance de son esprit, en se lamentant de ce que la Destinée lui avait donné en partage, un sort moins banal que celui des autres… plus de passion, plus de vicissitudes en moins d’années, la sauvant du dégoût et de l’ennui ?

— Rahil, dit-il, Rahil ! Écoute… Je suis celui qui blesse et qui guérit, celui qui réveille et qui endort… Écoute, Rahil.

Elle releva la tête. Sur ses joues pâlies, des larmes coulaient.

— Cesse de pleurer et attends-moi. Il est l’heure de la prière.

Si Abd-es-Sélèm prit dans une niche élevée un livre relié en soie brodée d’or, et l’ayant pieusement baisé, l’emporta dans une autre pièce. Puis dans la cour, il pria l’âcha[1].

  1. Prière du soir.