Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/122

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mais été content de moi, et on m’a toujours voulu autre qu’il a plu à Dieu de me faire. On a été aussi rarement content de ce que je publiais. Quand j’avais pendant des années travaillé de toutes les forces de mon âme, afin de plaire au monde par un nouvel ouvrage, il voulait encore de plus que je lui fisse de grands remercîments, parce qu’il avait bien voulu le trouver supportable. Quand on me louait, je ne devais pas accepter ces éloges avec un contentement calme comme un tribut qui m’était dû, on attendait de moi quelque phrase bien modeste par laquelle j’aurais détourné la louange en proclamant avec beaucoup d’humilité l’indignité profonde de ma personne et de mes œuvres. C’était là quelque chose de contraire à ma nature, et j’aurais été un misérable gueux, si j’avais fait des mensonges aussi hypocrites. Comme j’avais assez d’énergie pour montrer mes sentiments dans toute leur vérité, je passais pour fier, et je passe pour tel encore aujourd’hui. En religion, en politique, dans les sciences, on m’a partout tourmenté, parce que je n’étais pas hypocrite et parce que j’avais le courage de parler comme je pensais. — Je croyais à Dieu et à la nature, au triomphe de ce qui est noble sur ce qui est bas ; mais ce n’était pas assez pour les âmes pieuses, je devais croire aussi que trois font un et que un fait trois ; cela était en opposition avec le sens du vrai qui est dans mon âme, et d’ailleurs je ne voyais pas du tout à quoi ces aveux m’auraient servi.

« Il m’en a pris mal aussi d’avoir vu que la théorie de Newton sur la lumière était une erreur, et d’avoir eu le courage d’attaquer le credo universel. J’ai vu la lumière dans toute sa pureté, dans toute sa vérité ; c’était mon devoir de lutter pour elle. Mes adversaires voulaient