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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/123

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la ternir, car ils soutenaient ce principe : L’ombre fait partie de la lumière. Ce principe a l’air absurde tel que je l’exprime, cependant il est comme je le dis. Car que prétendent-ils ? ils disent : Les couleurs (et les couleurs sont bien de l’ombre) sont la lumière elle-même, ou, ce qui revient au même, les couleurs sont des rayons de lumière brisés tantôt d’une façon, tantôt d’une autre. »

Goethe se tut un instant ; un sourire ironique courait sur son beau visage ; puis il continua :

« Et en politique ! que n’ai-je pas eu à endurer ! Quelles misères me m’a-t-on pas faites ? Connaissez-vous mon drame les Révoltés ? » — « Hier pour la première fois, dis-je, j’ai lu cette pièce, à cause de la nouvelle édition de vos œuvres, et j’ai infiniment regretté qu’elle soit restée inachevée. Mais telle qu’elle est, tout esprit juste saura y voir votre manière de penser. »

« — Je l’ai écrite au temps de la première Révolution, et on peut la regarder comme ma profession de foi politique à ce moment. J’avais fait de la Comtesse le représentant de la noblesse, et les paroles que je mets dans sa bouche indiquent quels doivent être les sentiments d’un noble. La Comtesse vient d’arriver de Paris, elle a été témoin des préliminaires de la Révolution, et elle n’en a pas déduit une mauvaise doctrine ! Elle s’est convaincue que s’il est possible d’opprimer le peuple, on ne peut l’écraser, et que le soulèvement révolutionnaire des classes inférieures est une suite de l’injustice des grands. « Je veux à l’avenir, dit-elle, éviter soigneusement toute action injuste, et sur les actes injustes d’autrui, je dirai hautement dans le monde et à la cour mon opinion. Aucune injustice ne me trouvera plus muette, quand même on devrait me décrier en m’appelant démocrate. »