Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/142

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fenêtres et ses portes ouvertes avait vue sur un jardin, on apercevait un groupe des plus charmants personnages. Une belle dame assise, d’environ trente ans, tient un cahier de musique, qui vient de lui servir pour chanter. Un peu plus au fond, assise à ses côtés, se penche une jeune fille d’une quinzaine d’années. Plus loin, une autre jeune dame, près de la fenêtre, est debout, tenant un luth dont elle joue encore. Un jeune homme vient d’entrer ; les regards des trois femmes sont tournés vers lui, il semble avoir interrompu la récréation musicale, et il s’incline légèrement, comme pour dire quelques paroles d’excuses qui sont bien accueillies par les dames.

« Cela, selon moi, dit Goethe, est aussi galant qu’aucune pièce de Caldéron[1] ? Vous avez vu maintenant ce qu’il y a de mieux dans ce genre. Mais que dites-vous de ceci ? » Et il me tendit quelques eaux-fortes du célèbre peintre d’animaux Roos[2]. Il n’y avait que des moutons, dans toutes les positions qu’ils aiment à prendre. La simplicité des physionomies, le laid hérissement des toisons, tout était reproduit avec la plus fidèle vérité ; c’était la nature même. « Chaque fois que je regarde ces animaux, dit Goethe, je me sens tout troublé. Il me semble

  1. Ce rapprochement entre Watteau et Caldéron peut paraître d’abord singulier, mais en réfléchissant on voit que ce sont en effet deux romantiques, c’est-à-dire deux artistes qui, sans s’inquiéter des chefs-d’œuvre du passé, ont tracé des tableaux entièrement originaux, inspirés uniquement par la réalité qu’ils avaient sous les yeux. Leurs créations poétiques sont des souvenirs nés de leur vie, et non de leurs lectures. De plus, le siècle de Caldéron comme le siècle de Watteau sont des époques élégantes et galantes. Plusieurs scènes des pièces de Caldéron, vues sur le théâtre, en Allemagne, rappellent tout à fait les tableaux de Watteau.
  2. Peintre allemand qui a vécu en Italie ; mort en 1705.