Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/164

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nous éveillons en nous tour à tour chacune de nos facultés ; nous les développons, les perfectionnons, et bientôt tout vis-à-vis nous est agréable. Voilà comment vous devriez agir ; vous avez pour cela plus de dispositions que vous ne croyez, et quand même vous ne feriez pas ce que je dis, allez cependant dans le grand monde, et comportez-vous-y comme vous l’entendrez. »

Le soir, Goethe m’avait fait inviter à une promenade en voiture. Nous allâmes à OberWeimar, par le coteau, d’où l’on voit le parc. Les arbres étaient en fleur, les bouleaux déjà garnis de feuilles, la prairie était un vrai tapis vert que rasaient les rayons inclinés du soleil couchant. Nous cherchions les groupes pittoresques et nous ne pouvions assez ouvrir les yeux. Nous avons remarqué que les arbres à fleurs blanches ne sont pas bons à peindre, parce qu’ils ne présentent pas de formes précises ; les bouleaux qui commencent à verdir ne pourraient pas non plus être placés dans un tableau, au moins au premier plan, parce que le feuillage est trop léger et ne contre-balance pas le tronc blanc ; ils ne présentent aucune partie large que l’on puisse faire avancer par de puissantes masses d’ombre et de lumière. « Aussi, a dit Goethe, Ruysdaël n’a jamais au premier plan placé des bouleaux avec leur feuillage, mais seulement des troncs de bouleaux brisés qui n’ont pas de feuilles. Un pareil tronc est excellent pour un premier plan, parce que sa blancheur le fait venir fortement en avant[1]. »

Après avoir touché légèrement à d’autres sujets, nous avons parlé de la fausse direction de ces artistes qui

  1. Voir à Dresde le Cimetière juif ; au Louvre le n° 470, et aussi les n" 205, de Hobbema ; 579, de Wynants.