Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/165

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veulent transformer la religion en art, tandis que l’art devrait être leur religion. « Le rapport que l’art a avec la religion, a dit Goethe, est le même que celui qui l’unit à tous les autres grands intérêts de la vie. Elle donne des sujets qui ont les mêmes titres que tous les autres sujets fournis par la vie. Une œuvre d’art ne s’adresse pas à notre foi ou à notre incrédulité ; elle parle en nous à d’autres forces, à d’autres facultés. L’art dans ses créations ne doit penser à plaire qu’aux facultés qui ont vraiment le droit de le juger ; s’il fait autrement, il marche dans une voie fausse, et ne peut avoir sur nous aucun effet. Une idée religieuse peut cependant être aussi une idée artistique, et fournir à l’art un bon sujet, mais c’est seulement lorsque cette idée a un intérêt général pour toute l’humanité. Ainsi une vierge avec un enfant est un excellent sujet qui a été cent fois traité et qu’on revoit toujours avec plaisir[1]. »

Nous avions fait le tour du bois, nous tournâmes près de Tiefurt pour revenir à Weimar ; nous avions en face de nous le soleil couchant. Goethe est resté quelques instants enfoncé dans ses pensées, puis il m’a cité ce mot d’un ancien : « Même lorsqu’il disparaît, c’est toujours le même soleil ! » et il a ajouté avec une grande sérénité : « Quand on a soixante-quinze ans, on ne peut pas manquer de penser quelquefois à la mort. Cette pensée me laisse dans un calme parfait, car j’ai la ferme conviction que notre esprit est une essence d’une nature

  1. Goethe a écrit sous ce titre : Sainte famille, la petite poésie suivante : le doux enfant ! ô l’heureuse mère ! Comme on voit qu’ils sont tous deux l’un à l’autre leur unique joie ! — Quels transports me donnerait la vue de cette ravissante peinture, si je n’étais pas obligé d’être devant ce groupe comme un pauvre dévot, comme un saint, comme Joseph !