Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/166

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absolument indestructible ; il continue à agir d’éternité en éternité. Il est comme le soleil, qui ne disparaît que pour notre œil mortel ; en réalité il ne disparaît jamais ; dans sa marche il éclaire sans cesse. »

Revenus à Weimar, Goethe m’a prié de monter chez lui encore un moment. Son amabilité, sa bonté étaient extrêmes. Il m’a parlé de sa théorie des couleurs, de ses incorrigibles adversaires, disant qu’il avait conscience d’avoir accompli quelque chose dans cette science. « Pour faire époque dans le monde, a-t-il dit à cette occasion, il faut deux choses : la première, c’est d’être une bonne tête, la seconde, de faire un grand héritage. Napoléon a hérité de la Révolution française, Frédéric le Grand, de la guerre de Silésie ; Luther, des ténèbres du mauvais clergé ; moi, j’ai eu pour ma part l’erreur de la théorie newtonienne. Il est vrai que la génération présente n’a pas soupçon de ce que j’ai fait, mais les temps à venir avoueront que je n’avais pas trouvé un mauvais héritage. »

Goethe m’avait envoyé aujourd’hui un rouleau de papiers sur le théâtre ; j’y ai trouvé des observations détachées, études et règles qu’il a écrites avec Wolf et Grüner, lorsqu’il travaillait à faire d’eux des comédiens consommés. J’ai trouvé ces fragments intéressants et très-instructifs pour les jeunes comédiens ; aussi j’ai résolu de les rassembler et d’en faire une espèce de Catéchisme théâtral. Goethe a approuvé ce projet, et nous avons traité à fond cette affaire. Cela fut une occasion de penser aux acteurs célèbres sortis de son école, et je lui demandais si madame de Heigendorf en faisait partie. « Je peux avoir eu de l’influence sur elle, a dit Goethe, mais pour être mon élève, elle ne l’est pas. Elle semblait née sur les planches ; tout de suite elle a eu l’assurance et