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envoyé à Bonn l’affiche du théâtre à l’auteur[1] du Paria, pour que le poëte pût voir que la pièce avait été jouée à Weimar. « La vie est courte, a-t-il ajouté, il faut tâcher de se faire des farces, tant qu’elle dure. »

Les journaux de Berlin étaient devant lui, et il me parla de la grande inondation de Saint-Pétersbourg, de la mauvaise situation de cette ville, et en passant, il s’est moqué de l’opinion de Rousseau, qui a dit qu’on ne pouvait pas empêcher un tremblement de terre en bâtissant une ville dans le voisinage d’une montagne volcanique. « La nature va son chemin, a dit Goethe, et ce qui nous paraît une exception est dans la règle. » Nous causâmes alors des grands orages qui ravagent les côtes et des autres phénomènes désastreux annoncés partout dans les journaux. Je demandai à Goethe si on savait la cause de ces phénomènes. « Personne ne la connaît, a-t-il dit ; ce sont de ces mystères dont on soupçonne à peine au fond de soi-même un semblant d’explication ; à plus forte raison ne trouverait-on pas de paroles pour les faire comprendre. »

Lundi, 10 janvier 1825.

Comme Goethe s’intéresse beaucoup à la nation anglaise, il m’avait prié de lui présenter peu à peu les jeunes Anglais qui sont à Weimar. Aujourd’hui, à cinq heures, il m’attendait avec le jeune officier anglais M. H…, dont je lui avais dit beaucoup de bien. Nous y allâmes à l’heure convenue, et nous fûmes introduits par le domestique dans une pièce bien chauffée où Goethe a l’habitude de se tenir dans l’après-midi et le soir. Trois lumières

  1. Michel Beer, frère du compositeur. — Voir l’article de Goethe dans ses Mélanges.