Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/198

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exercés dans leur temps sur la littérature allemande sont incalculables. » Il nomma à cette occasion un grand nombre des personnes contre lesquelles les Xénies étaient dirigées, mais ces noms sont sortis maintenant de ma mémoire.

Lorsque, interrompu par ces intéressantes réflexions et digressions de Goethe, et cent autres encore, le manuscrit eut été lu et discuté jusqu’à la fin de l’année 1800, Gothe fit mettre les papiers de côté et fit apporter, sur un bout de la grande table à laquelle nous étions assis, un petit souper. Nous l’acceptâmes ; pour Goethe, il ne mangea pas une bouchée ; je ne l’ai d’ailleurs jamais vu manger le soir. Il était assis près de nous, nous versait à boire, ravivait les lumières et nous rafraîchissait aussi l’esprit par la plus charmante conversation. Le souvenir de Schiller était en lui si vivant, que l’entretien de cette seconde moitié de la soirée lui fut tout entier consacré. Riemer rappela la personne de Schiller. « La structure de son corps, dit-il, sa marche dans les rues, chacun de ses mouvements avait de la fierté, ses yeux seuls étaient doux. » — « Oui, dit Goethe, tout en lui était fier et grandiose, mais ses yeux étaient doux !… Et, comme son corps, était son talent. Il entrait hardiment dans un sujet, l’examinait, le tournait de ci, de là, le considérait de ce côté, de cet autre, le maniait à droite, à gauche. Il ne considérait son sujet pour ainsi dire que du dehors ; le faire se développer doucement à l’intérieur, cela ne lui allait pas ; il y avait plus de vive mobilité[1] dans son talent ; aussi il n’était jamais décidé et ne pouvait finir. Souvent il a encore changé un rôle peu de temps avant les répétitions. Et comme il al-

  1. L’expression allemande est plus originale. Goethe dit : « Son talent était plus desultorisch. »