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Mercredi, 17 janvier 1827.

Dans ces derniers temps, Goethe parfois ne se trouvait pas tout à fait bien, et nous avions dîné dans sa chambre de travail qui donne sur le jardin. Aujourd’hui le couvert était de nouveau mis dans la chambre d’Urbino[1], heureux signe pour moi. Goethe et son fils, lorsque j’entrai, m’accueillirent amicalement, et avec l’amabilité naïve qui leur est particulière ; Goethe semblait de l’humeur la plus gaie, ce qui se voyait à l’extrême animation de ses traits. Dans la chambre du plafond, voisine de la chambre d’Urbino, je vis M. le chancelier de Müller penché sur une grande gravure ; il vint bientôt vers nous, et je me félicitai de l’avoir pour compagnie au dîner. Madame de Goethe devait venir aussi, cependant nous nous mîmes provisoirement à table. On parla avec admiration de la gravure, et Goethe me dit que c’était une œuvre[2] du célèbre Gérard de Paris, envoyée en présent ces jours-ci par le peintre lui-même. — « Allez vite, ajouta-t-il, et, avant que la soupe n’arrive, régalez un peu vos yeux. » — J’allai avec joie contempler ce bel ouvrage, et je vis la dédicace écrite par le peintre. Mais je ne pus rester longtemps, madame de Goethe entra, je me hâtai d’aller reprendre ma place. « N’est-ce pas, dit Goethe, c’est quelque chose de grand ! On peut étudier une pareille œuvre des jours et des semaines avant d’avoir découvert toutes les richesses qu’elle renferme en idées et en per-

  1. Ainsi nommée parce qu’on y voyait le portrait d’un duc d’Urbin, peint par F. Barocci.
  2. L’entrée de Henri IV à Paris, gravée par Toschi. — Goethe a écrit une Notice sur les deux premières livraisons de la Collection des Portraits historiques, publiée par Gérard en 1826. Il y apprécie avec justesse le talent doux, spirituel et aimable de Gérard.