Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/377

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que nous ne recueillons de larges vues et, des vérités propres à exciter notre propre méditation et à nous rendre nous-mêmes créateurs. »

« Vous avez raison ; Lessing a même dit une fois que si Dieu voulait lui donner la vérité, il refuserait ce présent, et préférerait le travail de la recherche. Ce système philosophique des mahométans est une jolie mesure dont on peut se servir pour soi et pour les autres, quand on veut savoir à quel degré de vertu intellectuelle on est parvenu. Lessing, fidèle à son naturel polémique, aime à s’arrêter dans la région des contradictions et du doute. Distinguer, voilà son affaire, et il était merveilleusement servi dans ce travail par sa grande intelligence. Moi, vous me trouverez tout autre ; je ne me suis jamais engagé dans les contradictions ; j’ai toujours cherche à niveler les doutes qui s’élevaient en moi, et je n’ai exprimé que les résultats auxquels je parvenais. »

Je demandai à Goethe quel était, selon lui, le plus grand des philosophes modernes ; il me répondit :

« Kant ; voilà, sans doute possible, le plus grand. C’est aussi celui dont la doctrine, n’ayant pas cessé d’exercer une influence, a pénétré le plus profondément dans notre civilisation allemande. Il a aussi agi sur vous, sans que vous l’ayez lu. Maintenant vous n’avez plus besoin de le lire, car ce qu’il pouvait vous donner, vous le possédez déjà. Si cependant plus tard vous voulez lire un ouvrage de lui je vous recommande la Critique du Jugement, dans laquelle il a traité excellemment de la rhétorique, passablement de la poésie, mais insuffisamment des beaux-arts. »

« — Votre Excellence a-t-elle eu des relations personnelles avec Kant ? »