Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/379

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de l’esprit créateur, phénomène aussi varié, aussi divers que la nature elle-même. »

« — J’ai souvent entendu affirmer que la nature était toujours belle, dis-je, qu’elle était le désespoir de l’artiste, et qu’il était rarement capable de l’atteindre. »

« — Je sais bien, dit Goethe, que souvent la nature déploie une magie inimitable, mais je ne crois pas du tout qu’elle soit belle dans toutes ses manifestations. Ses intentions sont toujours bonnes, mais ce qui manque c’est la réunion des circonstances nécessaires pour que l’intention puisse se réaliser parfaitement. Ainsi le chêne est un arbre qui peut être très-beau. Mais quelle foule de circonstances favorables ne faut-il pas voir combinées pour que la nature réussisse une fois à le produire dans sa vraie beauté ! Si le chêne croît dans l’épaisseur d’un bois, entouré de grands arbres, il se dirigera toujours vers le haut, vers l’air libre et la lumière. Il ne poussera sur ses côtés que quelques faibles rameaux, qui même dans le cours du siècle doivent dépérir et tomber. Lorsqu’il sent enfin sa cime dans l’air libre, il s’arrête content, et puis commence à s’étendre en largeur pour former une couronne. Mais il est déjà alors plus qu’à la moitié de sa carrière ; cet élan vers la lumière qu’il a prolongé pendant de longues années, a épuisé ses forces les plus vives, et les efforts qu’il fait pour se montrer encore puissant en s’élargissant ne peuvent plus complètement réussir. Quand sa crue s’arrêtera, ce sera un chêne élevé, fort, élancé, mais il n’aura pas entre sa tige et sa couronne les proportions nécessaires pour être vraiment beau. — Si au contraire un chêne pousse dans un lieu humide, marécageux, et si le sol est trop nourrissant, de bonne heure, s’il a assez d’espace, il poussera dans tous les