Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/382

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c’est toujours que la race reste pure, et que l’homme n’ait pas porté sur elle sa main mutilante. Un cheval auquel on a coupé la queue et la crinière, un chien avec des oreilles rognées, un arbre privé de ses plus puissants rameaux, et plus que tout une jeune fille dont le corps a été dès sa jeunesse gâté et déformé par le corset, tout cela, ce sont des choses que le bon goût éloigne et qui n’ont place que dans le catéchisme de la beauté des Philistins. »

Au milieu de ces entretiens et d’autres du même genre nous étions rentrés. Nous fîmes encore, avant dîner, quelques tours dans le jardin de la maison. Le temps était très-beau ; le soleil du printemps commençait déjà à prendre de la force et à faire sortir des haies et des buissons feuilles et fleurs. Goethe était tout à l’idée et à l’espérance d’un été plein de bonheurs. — Le dîner fut très-gai. Le jeune Goethe avait lu l’Hélène de son père, et il en parla avec la pénétration de l’esprit naturel. Il avait eu beaucoup de plaisir à lire la partie antique, mais pour la seconde moitié, espèce d’opéra romantique, il était facile de voir qu’elle n’avait pas pris vie devant son imagination.

« Tu as au fond raison, dit Gœthe. C’est là une chose singulière. On ne peut pas dire que l’intelligible soi toujours beau, mais certes le beau est toujours intelligible, ou du moins doit l’être. La partie antique te plaît parce que tu peux l’embrasser, parce que tu en domines les divers fragments et que tu peux, avec ton intelligence, pénétrer jusqu’à la mienne. Dans la seconde partie, ce sont aussi des idées de l’intelligence et de la raison qui paraissent et qui ont été mises en œuvre, mais il y a là des difficultés, et il faut quelque étude avant de pénétrer