Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/80

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dit Goethe, je suppose toujours de grandes causes, et pour jouir d’une pareille popularité, Uhland doit avoir quelque qualité supérieure. — J’ai pris son livre avec les meilleures intentions, et je suis tombé d’abord sur tant de poésies faibles, misérables, que j’ai été dégoûté du reste. Mais après j’ai lu ses Ballades, et j’ai reconnu un talent supérieur ; j’ai vu que sa réputation n’était pas sans fondement[1]. »

Je demandai à Goethe ce qu’il pensait du vers tragique en allemand. « Il sera bien difficile de s’entendre sur ce point, répondit-il, chacun écrit à son gré et suivant le sujet qu’il traite. L’ïambe de six pieds serait le plus noble, mais il est trop long pour notre langue ; car, n’ayant guère d’adjectifs, notre phrase ordinairement ne remplit que cinq pieds. Il en faut encore moins aux Anglais qui ont tant de monosyllabes. »

Goethe me montra alors quelques gravures, me parla de l’architecture gothique allemande et me promit de me montrer peu à peu beaucoup d’objets de ce genre. « Dans les œuvres de l’ancienne architecture allemande, dit-il, on voit la fleur d’un âge extraordinaire. Celui qui rencontre tout à coup une fleur pareille, naturellement est saisi d’une grande surprise ; mais au contraire, si vous avez pénétré dans la vie intérieure de la plante, si vous avez assisté au développement et à la lutte des forces qu’elle renferme, si vous l’avez vue se développant peu à peu, alors c’est avec un tout autre regard que vous verrez les objets : vous saurez ce que vous voyez. Je veux cet hiver vous faire un peu pénétrer cet important sujet, afin que l’été prochain, si vous visitez les bords du Rhin,

  1. Uhland est tantôt romantique pur, tantôt imitateur heureux de Goethe. De là les deux jugements si différents exprimés ici.