Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/81

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vous puissiez jouir de la vue des cathédrales de Strasbourg et de Cologne. »

Je me sentis plein de joie et plein de reconnaissance en écoutant ces paroles.

* Vendredi, 24 octobre 1823.

Soirée chez Goethe. Madame Szymanowska, dont Goethe a fait la connaissance cet été à Marienbad, a improvisé sur le piano. Goethe était tout oreilles, et a paru de temps en temps très-ému.

Samedi, 25 octobre 1823.

Je suis resté une petite demi-heure avec Goethe, ce soir, avant la nuit. Il était assis devant sa table de travail, dans son fauteuil de bois. Je le trouvai dans une humeur d’une merveilleuse douceur ; il était comme rempli d’une paix céleste, comme serait quelqu’un qui pense à un bonheur délicieux dont il a joui, bonheur qu’il voit encore dans tout son éclat passer devant son âme. — Goethe fit placer par Stadelmann une chaise près de lui et je dus m’y asseoir. — Nous causâmes sur le théâtre, qui est cet hiver une de mes grandes préoccupations. La dernière pièce que j’avais vue était la Nuit terrestre, de Raupach[1]. — Je dis ce que j’en pensais : « La pièce, dis je, n’a pas été faite comme le poëte l’avait conçue d’abord ; il y a plus de réflexion que de vie, c’est plus lyrique que dramatique ; il fallait réduire en deux ou trois actes ce qui a été délayé en cinq actes. » Goethe dit alors : « L’idée de l’ensemble, c’est l’opposition de la démocratie et

  1. Raupach et Kotzebue, écrivains de second ordre, mais d’une fécondité remarquable, Kotzebue avait été jadis un des adversaires de Goethe, qui ne parait pas lui avoir gardé rancune de ses petites persécutions.