Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/101

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vidus. Ainsi les abeilles, qui sont une collection d’individus, s’ajoutent les unes aux autres, et il sort de leur ensemble la reine, qui doit se considérer comme l’extrémité et la tête de leur société. — L’idée que j’ai est mystérieuse, difficile à exprimer, mais je la conçois pourtant bien. — C’est encore ainsi qu’un peuple produit ses héros qui, semblables aux demi-dieux, marchent en tête pour nous sauver et nous défendre. C’est ainsi que toutes les forces poétiques des Français se réunissent dans Voltaire. Ces chefs d’un peuple sont grands dans la génération sur laquelle ils agissent ; beaucoup exercent encore longtemps après leur influence ; la plupart sont remplacés par d’autres et oubliés de la postérité. »

Goethe parla ensuite des naturalistes dont la principale affaire aujourd’hui est de prouver leurs opinions personnelles. « M. de Buch, dit-il, a publié un nouvel ouvrage qui dans le titre même renferme une hypothèse. Il traite des blocs de granit qui gisent çà et là, on ne sait ni comment ni pourquoi. M. de Buch met sur son enseigne que ces blocs de granit ont été poussés de l’intérieur de la terre par quelque force puissante, et qu’ils ont été brisés, c’est là ce que dit son titre, dans lequel il parle déjà de blocs dispersés. — Il n’y a qu’un pas bien facile à faire pour arriver à la dispersion, et c’est ainsi que le pauvre lecteur se voit la tête prise dans l’erreur sans savoir comment. Il faut vieillir pour apercevoir tout cela, et de plus avoir assez d’argent pour payer ses expériences. Chaque trait juste qui me vient dans l’esprit me coûte une bourse pleine d’or ; un demi-million de ma fortune privée a passé à travers mes mains pour apprendre ce que je sais maintenant ; j’y ai dépensé non-seulement toute la fortune de mon père, mais mon traite-