Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/204

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exacte et très-heureuse. « Je possède, dit-il, le manuscrit d’une traduction italienne de ce poëme, qui reproduit même le rhythme de l’original. — J’ai composé les ballades, dit-il à cette occasion, grâce à Schiller, qui pour ses Heures avait toujours besoin de quelque chose de nouveau. Je les avais depuis longues années dans l’esprit ; elles m’occupaient comme d’aimables images, comme de beaux rêves qui venaient, disparaissaient, et avec lesquels mon imagination s’amusait à jouer. Aussi c’est avec chagrin que je me décidai à dire adieu à toutes ces brillantes figures qui m’étaient devenues chères et que j’abandonnai dès que je leur eus donné un corps en les revêtant de pauvres et insuffisantes paroles. Quand elles furent écrites, je les regardai sur le papier avec un sentiment de tristesse, il me semblait que j’allais me séparer d’un ami bien-aimé. — À d’autres époques, il en était tout autrement pour mes poésies. Je n’en avais auparavant aucune idée, aucun pressentiment ; elles arrivaient tout à coup sur moi et voulaient être écrites à l’instant ; je me sentais poussé comme par un instinct, comme si je rêvais, à les mettre sur le papier. Dans cet état de somnambulisme, il arrivait souvent que la feuille de papier que j’avais devant moi était placée tout de travers ; je ne m’en apercevais que lorsque tout était écrit, ou quand la place me manquait. J’avais gardé plusieurs feuilles écrites ainsi de travers, mais elles ont disparu peu à peu, et je regrette de ne pouvoir plus montrer ces témoignages de rêverie poétique. »

La conversation revint sur la littérature française et sur la direction ultra-romantique que quelques talents assez remarquables ont prise tout récemment. Goethe