Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/209

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la domination des prêtres et contre les ténèbres qui menaçaient de revenir avec les jésuites ; toutes ces idées sont de celles auxquelles on ne peut pourtant refuser sa pleine approbation. Et quelle manière magistrale de traiter chaque sujet ! comme il l’a tourné et arrondi avant de l’écrire ! et quand tout est mûr, que de traits, que d’esprit, quelle ironie, quel persifflage, et aussi quelle cordialité, quelle naïveté, quelle grâce ne déploie-t-il pas à chaque pas ! Ses chansons ont, chaque année, fait la joie de millions d’hommes ; elles sont très-bien à la portée de la classe ouvrière, tout en s’élevant au-dessus du commun, de telle sorte qu’un peuple en relations avec ces aimables esprits est forcé de prendre l’habitude de penser mieux et avec plus de noblesse. Que voulez-vous de plus ? quelle gloire plus belle un poète peut-il avoir ? »

« C’est un poète excellent, sans nul doute, dis-je ; vous savez vous-même combien je l’aime depuis longtemps, et vous pouvez penser combien je suis heureux de vous entendre parler ainsi. Cependant, si je dois dire quelles sont les chansons que je préfère, je dirai que j’aime mieux ses chansons d’amour que ses chansons politiques, qui renferment toujours des allusions et des passages que je ne comprends pas bien. »

« C’est votre faute, répondit Goethe, et les chansons politiques ne sont pas écrites pour vous ; mais demandez aux Français, et ils vous en expliqueront les mérites. Une poésie politique ne doit jamais être considérée dans le cas le plus favorable que comme la voix d’une seule nation, et même presque toujours d’un seul parti ; mais aussi, si elle est bonne, elle est accueillie avec enthousiasme par cette nation ou par ce parti. Une poésie politique n’est aussi que l’œuvre d’une certaine situation mo-