Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/219

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mission que de renverser l’empire Romain et de créer, d’organiser un monde nouveau, elle serait tombée depuis longtemps. Mais comme elle est restée debout, forte et solide, j’ai la conviction qu’elle a encore une autre mission, et cette mission sera plus grande que celle qu’elle a accomplie lorsqu’elle a détruit l’empire Romain et donné sa forme au moyen âge, plus grande en proportion même de la supériorité de sa civilisation actuelle sur la civilisation du passé. Quand viendront le temps et l’occasion pour agir ? Aucun œil humain ne peut le voir d’avance ; aucune force humaine ne pourrait rapprocher ce temps et faire naître cette occasion. Que nous reste-t-il donc à faire, à nous, simples individus ? Nous devons, suivant nos talents, nos penchants, notre situation, développer chez nous, fortifier, rendre plus générale la civilisation, former les esprits, et surtout dans les classes élevées, pour que notre nation, bien loin de rester en arrière, précède tous les autres peuples, pour que son âme ne languisse pas, mais reste toujours vive et active, pour que notre race ne tombe pas dans l’abattement et dans le découragement, et soit capable de toutes les grandes actions quand brillera le jour de la gloire. — Mais, pour le moment, il ne s’agit ni de l’avenir, ni de nos vœux, ni de nos espérances, ni de notre foi, ni des destinées réservées à notre patrie ; nous parlons du présent, et des circonstances au milieu desquelles paraît votre journal. Vous dites, il est vrai : Des événements décisifs sont venus nous donner le signal. Bien. Ces événements ne sont jamais, à tout supposer pour le mieux, que le commencement de la fin. Deux cas sont possibles : ou le puissant dominateur abat encore une fois tous ses