Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce que vous avez à lui dire, si vous en avez le courage ! » Mais, ajoutait Goethe en riant, personne ne m’approcha ; je continuai à faire abattre du vieux mur ce qui me gênait, et j’eus le plaisir de voir enfin ma bibliothèque assainie. »

Mardi, 16 mars 1830.

Goethe m’a montré un Christ avec douze apôtres, et nous avons causé du peu d’intérêt que présentent ces douze figures pour la sculpture. « Chaque apôtre ressemble aux autres, et ils n’ont ni existence ni actes propres à leur donner un caractère, un sens particulier. Je me suis amusé, à cette occasion, à chercher un cycle de douze figures bibliques, où chacune eût une importance différente, et par là pût fournir à l’artiste un sujet fécond[1].

D’abord Adam, le plus beau des hommes, aussi parfait qu’on peut se l’imaginer. Il aura, si l’on veut la main ap-

  1. On trouve dans les Mélanges artistiques de Gœthe la description détaillée de ces figures. J’en citerai seulement deux passages très-caractéristiques. Goethe veut que l’on représente le Christ sortant du tombeau, dépouillé du linceul, divinement beau, et il ajoute : « Nous serons ainsi dédommagés du spectacle que nous ont donné tant d’artistes qui ont représenté le Christ martyrisé, ou bien étendu nu sur la croix, ou bien mort. » De même, il ne veut pas que Paul tienne comme d’habitude l’épée. « Nous écartons tous les instruments de torture, » dit-il. On voit que, jusqu’à son dernier jour, Goethe a conservé le même éloignement pour les symboles tristes de la religion chrétienne : ils étaient trop en opposition avec sa nature sereine pour qu’il pût les contempler sans un malaise intime. Il ne voulait pas cependant qu’on les supprimât ; mais il aurait désiré qu’on ne les exposât pas partout et que l’on ne fît pas, par exemple, de la croix une décoration. (Voir sa lettre énergique à Zeller, du 9 juin 1831.) C’était là, selon lui, un abus coupable, et on ôtait ainsi tout sens à des images qui ne doivent être contemplées que rarement et solennellement. Les symboles de l’antiquité, au contraire, n’ont rien qui puisse troubler, et Goethe les considérait comme plus naturels ; s’il aimait tant à remonter vers la mythologie grecque, c’est par les raisons les plus profondes : c’était surtout parce qu’il y retrouvait l’optimisme tranquille et confiant qui remplissait son âme.