Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion, quelle vérité de détails ! On voit ce qu’est l’histoire anglaise, et ce qu’un bon poëte peut faire, quand il reçoit en legs un pareil trésor. Au contraire, notre histoire d’Allemagne en cinq volumes est une vraie pauvreté[1], et après le Gœtz de Berlichingen on est retombé tout de suite dans la peinture de la vie privée ; on a écrit une Agnès Bernauerin, un Otto de Wittelsbach[2], œuvres qui n’ont pas une valeur bien grande. »

Je lui dis que je lisais Daphnis et Chloé dans la traduction de Courier. — « Voilà encore un chef-d’œuvre, dit-il, que j’ai souvent lu et admiré, où l’on trouve l’intelligence, l’art, le goût poussés à leurs dernières limites, et qui fait un peu descendre le bon Virgile. Le paysage est tout à fait dans le style du Poussin, et quelques traits ont suffi pour dessiner dans la perfection le fond sur lequel se détachent les personnages. — Vous savez que Courier a découvert dans la bibliothèque de Florence un nouveau manuscrit, avec un passage très-important que les éditions antérieures n’avaient pas. Mais je dois avouer que j’avais toujours lu et admiré le poëme avec sa lacune, sans m’apercevoir et sans remarquer que la cîme même du poëme manquait. C’est là une preuve de l’excellence de l’œuvre, car ce qui existe nous faisait tant de plaisir, qu’on ne pensait pas à ce qui pouvait être absent. »

* Mercredi, 9 mars 1831.

J’ai annoncé à Goethe que Madame la grande-duchesse donnera 1 000 thalers au théâtre, pour aider les jeunes

  1. Raupach a écrit l’histoire entière des Hohenstaufen dans une série de seize drames. Les faits et les personnages y sont, mais c’est tout.
  2. Otto de Wittelsbach (1781), drame de Franz de Babo ; Agnès Bernauerin (1780), drame du comte de Torring-Cronsfeld. Ces deux poëtes étaient morts en 1831.