Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/338

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et de tout cœur à l’église avec mes coreligionnaires, et le premier je me soumettrais avec tous à cette loi édifiante que je confesserais, que je pratiquerais avec bonheur, parce que ce serait une foi tournée tout entière vers l’action. »

Premiers jours de mars 1832.

Goethe m’a raconté en dînant qu’il avait reçu la visite du baron Charles de Spiegel, qui lui avait extrêmement plu : « C’est un très-beau jeune homme, dit-il ; il a dans sa manière d’être, dans sa tournure un je ne sais quoi où l’on reconnaît le noble du premier coup d’œil. Il ne pourrait pas plus renier sa famille qu’une grande intelligence ne pourrait renier sa nature élevée. Car ces deux supériorités, haute intelligence ou haute naissance, frappent celui qui les possède d’une empreinte que ne peut cacher aucun incognito. Ce sont des puissances comme la beauté ; on ne peut les approcher sans les reconnaître. »

Quelques jours plus tard.

Nous avons causé de l’idée de la fatalité dans la tragédie grecque. « Elle n’est plus d’accord avec notre manière de penser, a dit Goethe ; c’est une idée vieillie et en opposition avec nos notions religieuses. Si un poëte moderne emploie ces idées d’un autre temps dans une pièce de théâtre, elles semblent toujours un peu affectées. C’est un vêtement depuis longtemps passé de mode, et qui ne convient pas plus à nos traits que la toge romaine.

« Nous, modernes, nous disons avec Napoléon : La politique, voilà la fatalité. Mais gardons-nous de dire avec nos littérateurs contemporains que la politique est la poésie, ou qu’elle convient à la poésie. Le poëte anglais Thompson a écrit un très-bon poëme sur les Sai-