Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/340

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son régiment, et il sera excellent patriote s’il laisse de côté la politique et consacre toutes ses pensées, tous ses soins à instruire les bataillons qui lui sont confiés, à les exercer, à maintenir la discipline et l’ordre aussi bien que possible, afin qu’ils tiennent bravement leur place, si un danger vient à menacer la patrie. Je déteste comme le péché toute besogne mal faite, mais surtout quand il s’agit d’affaires publiques, car alors le résultat, c’est le désastre pour des milliers et des millions d’hommes. Vous le savez, en général, je m’inquiète peu de ce que l’on écrit sur moi, mais il m’est venu aux oreilles, et je le sais d’ailleurs fort bien, que malgré toute la peine que je me suis donnée pendant toute ma vie, tout ce que j’ai fait est tenu pour rien par certaines gens, parce que précisément j’ai dédaigné de me mêler aux partis politiques. Pour plaire à ces personnes, j’aurais dû être membre d’un club de Jacobins et prêcher le meurtre et les massacres… Ah ! plus un mot sur ce méchant sujet, pour ne pas devenir déraisonnable en combattant la déraison. »

Goethe blâma Uhland d’avoir embrassé la carrière politique, résolution que d’autres ont tant vantée. — « Faites bien attention, dit-il : la politique absorbera le poëte. Être membre des États, vivre dans des discussions, dans des excitations quotidiennes, cela ne convient pas à la nature délicate d’un poëte. Ses chants cesseront, et ce sera à certains points de vue un malheur. La Souabe possède assez d’hommes suffisamment instruits, bien pensants, loyaux, éloquents pour être membres des États, mais un poëte comme Uhland, elle n’a que lui[1]. »

Pendant les premiers mois de 1832 1, Goethe, après avoir

  1. Uhland n’a pas suivi les conseils de Goethe, et sa verve s’est éteinte ;