Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/354

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nille, et d’une chenille un papillon. — Les monades inférieures obéissent à une monade supérieure, non par choix et pour leur propre satisfaction, mais parce qu’elles le doivent et sont forcées d’obéir. Tout se passe très-naturellement. Considérez, par exemple, cette main. Elle est faite de parties que la monade principale a su dès l’origine et pendant leur formation lier à elle par des liens indissolubles, et elles sont toujours à son service. Par elles, je peux jouer jusqu’au bout tel ou tel morceau ; je peux, comme il me plaît, faire courir mes doigts sur les touches d’un piano. Ils donnent par là une noble jouissance à mon esprit, mais eux-mêmes sont sourds ; et la monade principale est la seule qui entende. Je peux croire que mon jeu musical intéresse fort peu ou n’intéresse pas du tout mes doigts et ma main. Ce jeu de monades, qui me donne à moi du plaisir, a fort peu d’effet sur ces sujets soumis qui m’obéissent, sinon peut-être que je leur fais sentir un peu de fatigue. Combien leur sensibilité serait-elle plus flattée, si, au lieu de perdre ainsi leur temps à glisser sur les touches d’un piano, il leur était permis, sous la forme d’abeilles diligentes, d’errer joyeusement par les prés, de se poser sur les arbres et de s’ébattre au milieu des branches fleuries, occupations pour lesquelles elles ont certes au fond d’elles-mêmes un penchant inné ! — Le moment de la mort (qui pour cette raison a été très-bien nommée une dissolution) est justement celui où la monade principale, la monade reine dégage ses anciens sujets de leur fidèle service. — Ce départ, je le considère, ainsi que la naissance, comme un acte libre de cette monade principale qui, dans son essence propre et intime, nous est complètement inconnue.