Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trois théâtres différents, la pièce de Schiller, Intrigue et Amour, favorablement accueillie, si les contes de Musæus sont traduits, lord Byron, Walter Scott, Cooper sont introduits au même moment, et les mérites de Manzoni sont de même dignement appréciés. Peut-être le temps est-il proche où les Français seront près de surpasser les Allemands pour la liberté et la profondeur de la critique. J’en avertis les intéressés, puissent-ils m’entendre ! Jusque-là, notons attentivement les jugements favorables ou défavorables qu’ils expriment sur nous, jugements qui reposent sur de larges principes conquis depuis peu de temps. (Suit la traduction de l’Étude de M. Ampère.)

La Notice (de M. Stapfer), placée en tête de la traduction française de mes œuvres dramatiques, est également digne d’attention. Elle donne à réfléchir sur le sort de l’homme, sur sa nature. Le tissu de notre existence, de nos actions, est formé de milliers de fils d’origine absolument diverse ; nécessité, hasard, arbitraire, liberté, tous les éléments s’y croisent et s’y mêlent. Aussi, personne ne peut considérer notre passé comme nous le considérons nous-même ; le moment nous a paru jadis trop fugitif ; ce sont maintenant les années qui nous semblent trop courtes : le dénoûment est bien loin de répondre à nos vœux, et l’ensemble tout entier nous parait mesquin ; c’est ainsi que les hommes les plus sages ont été entraînés faussement à dire : Tout est vanité. Le biographe, au contraire, voit tout avec plus de faveur ; il se contente du résultat obtenu ; il remonte vers les entreprises heureuses ou stériles, examine les moyens employés, les facultés mises en œuvre, dévoile les forces cachées qui ont agi ; et, s’il ne distingue pas tout, ce qu’il aperçoit suffit pour permettre à son regard satisfait de comprendre avec clarté l’ensemble. Dans l’étude du monde moral, il y a, en effet, des indices qui guident l’esprit avec autant de certitude que, dans le monde physique, les sens sont guidés par des indices matériels ; mais dans les deux cas, il faut un tact inné, il faut une pratique longtemps continuée avec une passion persévérante, pour savoir observer l’objet d’un regard limpide, le saisir dans sa partie essentielle, ne pas le confondre avec ce qui lui ressemble, et porter sur lui le vrai jugement. Je désire que mes amis puissent lire la Notice dont je parle ici. Sur quelques faits, sur quelques idées, ils seront en désaccord avec l’auteur, mais, comme moi, ils seront pénétrés de reconnaissance et d’admiration en voyant avec quelle bienveil-