Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/420

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mes pleinement de son avis ; une œuvre d’art bien faite est comme un produit normal de la nature : c’est avec des règles tirées d’elle-même qu’il faut la juger. Il faut, dit-il, chercher ce que le poëte voulait faire, ensuite examiner si ce dessein était raisonnable, louable, et enfin décider s’il a vraiment fait ce qu’il voulait faire. — Suivant ces préceptes, nous avons cherché à nous faire une idée bien claire des intentions de M. Manzoni ; nous les avons trouvées justes, conformes à la nature et à l’art, et enfin nous nous sommes convaincu que l’exécution en était magistrale. Après ces paroles, nous pourrions nous taire, en souhaitant seulement que tous les amis de la littérature italienne lisent cet ouvrage avec attention et le jugent avec liberté et bienveillance comme nous. Mais comme ce genre de poésie trouve des adversaires en Italie et pourrait aussi ne pas plaire à tous les Allemands, il nous faut motiver notre louange si complète et montrer que, selon le désir de l’auteur, notre jugement a trouvé ses origines dans l’œuvre elle-même.

Dans sa préface M. Manzoni avoue sans détour qu’il renonce aux unités de temps et de lieu ; il cite un passage de A. G. Schlegel qui lui parait décisif, et montre les inconvénients des anciennes et craintives restrictions. Un Allemand ne trouve là que des idées qui lui sont familières ; il ne peut rien contredire ; les observations de M. Manzoni sont cependant dignes de toute notre attention. Cette question a été longtemps débattue chez nous, mais un homme d’esprit qui défend une cause dans d’autres circonstances trouve toujours de nouveaux points de vue, de nouveaux arguments ; c’est ainsi que M. Manzoni a donné des raisons qui frappent d’évidence le sens commun de tous les hommes et qui plaisent même à l’esprit déjà convaincu. — Dans un chapitre spécial, il donne les renseignements historiques nécessaires pour bien connaître l’époque et les personnages. — Le comte Carmagnola, né vers 1390, de berger devenu soldat aventureux, après avoir passé par tous les grades, fut nommé général en chef des armées du duc de Milan. Par des campagnes heureuses il agrandit le duché ; parvenu aux plus grands honneurs, il entra même dans la famille du duc. Mais le caractère guerrier de ce héros, son besoin insatiable d’activité, son impatient et perpétuel désir d’aller toujours en avant, amenèrent une rupture avec son protecteur, et en 1425, il entra au service de Venise. Dans ce temps de lutte sauvage, où tout homme, qui se sentait le corps et l’âme énergiques et avides d’action, pouvait facilement satisfaire son amour pour la