Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/490

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signer son haut grade. Il semble un peu ému et son geste trahit son émotion ; qui pourrait en effet ne pas réagir un peu par le geste contre un pareil danger ? il est au milieu d’une batterie en ruine que l’on est en train de canonner ; les éclats passent autour de lui, les affûts craquent et se fracassent, les canons sont renversés, les boulets volent autour de sa tête, tout se brise, tout est en mouvement. Sérieux, attentif, le maréchal a l’œil fixé sur l’endroit d’où partent les coups ; son point gauche serré, le pouce de sa main droite qui saisit fortement son chapeau, la silhouette de tout le corps donnent l’impression de l’énergie contenue et qui sait contenir, de la tension d’esprit extrême, et cependant de la sécurité intérieure. La pose et la composition sont sans égales. Je ne sais quelle bataille est ici représentée, mais la situation est celle dans laquelle il s’est vu si souvent et qui lui a enfin coûté la vie. — J’ajouterai que nous le trouvons ici bien plus vieux qu’en 1806, année dans laquelle, contre toute espérance, nous avons dû notre salut à sa bonté, et nous pourrions dire, à la prompte affection qu’il avait conçue pour nous[1].


CHARLES-MAURICE DE TALLEYRAND, PRINCE DE BÉNÉVENT, ETC. (PEINT EN 1808).

Plus nous avançons dans l’examen de cette collection, plus elle nous paraît remarquable ; chaque feuille est très-importante, et son importance s’accroît quand on la compare avec celles qui précèdent et qui suivent. Nous venons de voir un des premiers héros de l’armée française, montrant son audace au milieu des plus grands périls ; nous voyons ici le premier diplomate du siècle, parfaitement calme, assis, attendant avec tranquillité les hasards de l’heure qui va s’écouler. — Vêtu simplement d’un habit de cour, l’épée au côté, son chapeau à plumes à quelque distance sur le canapé, il semble, dans cette pièce ornée sans faste, attendre qu’on lui annonce que sa voiture est prête à le conduire à la conférence ; son bras gauche est appuyé sur le coin d’une table où se trouvent des papiers, un encrier et des plumes. — Sa main droite est un peu cachée, son pied droit est croisé sur son pied gauche ; il semble absolument impassible.

  1. Pendant le pillage de Weimar, après la bataille d’Iéna.