Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/512

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La nature est éternellement digne d’une étude respectueuse ; éternellement elle laissera voir ses secrets à l’esprit attentif qui l’étudiera avec intelligence ; elle nous en livre d’elle-même une partie ; ceux qu’elle cache, elle donne à l’observateur, au penseur des indications de toute espèce pour les découvrir. Nous ne devons dédaigner aucun des procédés qui peuvent nous conduire à mieux distinguer les formes extérieures des objets et à mieux pénétrer dans leur organisation intime. Dans la circonstance actuelle, nous montrerons le parti que l’on peut tirer de l’étude de la fonction, qui, bien conçue, doit être considérée comme l’être en activité ; suivant les pas de Geoffroy Saint-Hilaire, nous parlerons du bras de l’homme et des membres antérieurs des animaux.

Nous ne voulons nullement faire étalage d’érudition, mais nous rappellerons d’abord les opinions d’Aristote, d’Hippocrate et de Galien. Les Grecs, avec leur imagination sereine, attribuaient à la nature une délicieuse intelligence. Elle avait selon eux tout disposé avec tant d’adresse, que nous devons en elle toujours trouver tout parfait. Aux animaux puissants elle a donné des griffes et des cornes ; aux animaux plus faibles la légèreté des pieds. Mais l’homme a été l’objet de soins particuliers ; si elle lui a donné une main habile à tout faire, c’est pour qu’il remplaçât les griffes et les cornes par l’épée et par la pique. Le motif que l’on donne pour expliquer pourquoi le doigt médium est plus long que les autres est on ne peut plus amusant[1].

Pour nous, reprenons les planches du grand ouvrage de D’Alton, et dans ce riche recueil cherchons des documents pour nos observations.

Nous supposons que tout le monde sait avec quelle merveilleuse intelligence l’avant-bras chez l’homme est lié avec la main. — Examinons les carnassiers ; nous voyons que leurs griffes et leurs ongles ne sont aptes et ne sont occupés qu’à leur préparer leur nourriture ; sauf un certain instinct pour sauter et s’ébattre en se jouant, ils vivent subordonnés entièrement à leur mâchoire et sont les esclaves de leur appareil nutritif. — Chez le cheval, les cinq doigts sont enfermés dans un sabot. La raison seule nous prouverait l’existence des cinq doigts, quand même certaines monstruosités ne nous montreraient pas le sabot partagé en cinq parties. Cette

  1. Voir Galien, De usu partium, livre II, chap. IX. Galien croit que cette inégalité favorise la préhension des objets. « Ita enim omnia, quæ manus per digitos obibit, probe parada fuerint. » (Trad. Chartier.)