Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/52

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Goethe dit : « Je suis d’un avis tout à fait opposé. Je soutiens, au contraire, que la nature se montre toujours généreuse, prodigue même, et qu’il est bien plutôt conforme à son esprit de supposer qu’elle a fait naître, non un pauvre et unique couple, mais des douzaines, des centaines de couples. — Lorsque la terre fut arrivée à un certain point de maturité, que les eaux furent écoulées et que le sol suffisamment sec se couvrait déjà un peu de verdure, alors arriva l’époque de la naissance de l’homme, et les êtres humains se produisirent par la toute puissance de Dieu partout où le sol le permit, peut-être d’abord sur les parties les plus élevées. Je considère cette manière de concevoir nos origines comme la plus sensée ; quant à chercher comment le fait s’est passé, c’est là pour moi un travail vain qu’il faut laisser à ceux qui aiment les problèmes insolubles et qui n’ont rien de mieux à faire [1]. »

« Quand même, comme naturaliste, dit M. de Martius avec une certaine malice, je serais disposé à adopter les vues de Votre Excellence, comme bon chrétien je me sens assez embarrassé d’accepter une théorie qui ne concorde pas avec les dires de la Bible. »

« — L’Écriture sainte, répondit Goethe, ne parle certainement que d’un couple, créé par Dieu au sixième jour ; les esprits hautement doués qui ont écrit cette parole de Dieu, transmise par la Bible, pensaient avant tout à leur peuple élu, et nous ne voulons nullement contester à ce peuple l’honneur de descendre d’Adam. Mais nous autres, et avec nous les nègres, les Lapons et les hommes élancés qui sont plus beaux que nous tous, nous

  1. Comparer 1er  volume, page 104.