Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/74

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ceurs et le confortable, il était l’ennemi de tout ce qui peut amollir. »

« — On voit déjà des traces de tout cela dans votre poésie : Ilmenau[1], où vous paraissez l’avoir dessiné d’après nature. »

« — Il était alors très-jeune, et nous faisions un peu les fous. C’était comme un vin généreux, mais encore en fermentation énergique. Il ne savait encore quel emploi faire de ses forces, et nous étions souvent tout près de nous casser le cou. — Courir à cheval à bride abattue par-dessus les haies, les fossés, les rivières, monter et descendre les montagnes pendant des journées, camper la nuit en plein vent, près d’un feu allumé au milieu des bois, c’étaient là ses goûts. Être né héritier d’un duché, cela lui était fort égal, mais avoir à le gagner, à le conquérir, à l’emporter d’assaut, cela lui aurait plu. — La poésie d’Ilmenau peint une époque qui, en 1785, lorsque j’écrivis la poésie, était déjà depuis plusieurs années derrière nous, de sorte que je pus me dessiner moi-même comme une figure historique et causer avec mon moi des années passées. C’est la peinture, vous le savez, d’une scène de nuit, après une chasse dans les montagnes comme celles dont je vous parlais. Nous nous étions construit au pied d’un rocher de petites huttes, couvertes de branches de sapin, pour y passer la nuit sur un sol sec. Devant les huttes brûlaient plusieurs feux, où nous cuisions et faisions rôtir ce que la chasse avait donné. Knebel, qui déjà alors ne laissait pas refroidir sa pipe, était assis près du feu, et amusait la société avec toute sorte de plaisanteries dites de son ton tranquille, pendant que la bouteille passait de mains en mains. Seckendorf

  1. Voir Poésies, traduites par M. Blaze de Bury, page 170.