Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/127

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l’ai dit, à deux milles environ, au vent, et arrivant sur nous. La brise était très-faible, et ce qui nous étonna le plus, c’est qu’il ne portait pas d’autres voiles que sa misaine et sa grande voile, avec un clin foc ; — aussi ne marchait-il que très-lentement, et notre impatience montait presque jusqu’à la frénésie. La manière maladroite dont il gouvernait fut remarquée par nous tous, malgré notre prodigieuse émotion. Il donnait de telles embardées, qu’une fois ou deux nous crûmes qu’il ne nous avait pas vus, ou, qu’ayant découvert notre navire, mais n’ayant aperçu personne à bord, il allait virer de bord et reprendre une autre route. À chaque fois, nous poussions des cris et des hurlements de toute la force de nos poumons ; et le navire inconnu semblait changer pour un moment d’intention et remettait le cap sur nous ; — cette singulière manœuvre se répéta deux ou trois fois, si bien qu’à la fin nous ne trouvâmes pas d’autre manière de nous l’expliquer que de supposer que le timonier était ivre.

Nous n’aperçûmes personne à son bord jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un quart de mille de nous. Alors nous vîmes trois hommes qu’à leur costume nous prîmes pour des Hollandais. Deux d’entre eux étaient couchés sur de vieilles voiles près du gaillard d’avant, et le troisième, qui semblait nous regarder avec curiosité, était à l’avant, à tribord, près du beaupré. Ce dernier était un homme grand et vigoureux, avec la peau très-noire. Il semblait, par ses gestes, nous encourager à prendre patience, nous saluant joyeusement de la tête, mais d’une manière qui ne laissait pas que d’être bizarre, et sou-